Aux sources de notre identité

En parcourant ce blog, en cette veille de Noël 2025, j’ai retrouvé cette chronique publiée en septembre 2013 sous la plume de notre regretté ami Félix Foy.

N’ayant rien perdu de sa criante actualité, et bien qu’ayant déjà été lu plus de 500 fois, j’ai pensé que ce texte pourrait intéresser les lecteurs d’aujourd’hui.

Aussi pour notre plaisir le voici dans son intégralité, introduction et illustrations comprises.
Occasion pour nous de rendre hommage à son auteur, en cette année du dixième anniversaire de son décès.

R.J.

*******

À une époque où tout semble se perdre de notre passé, donc un peu de notre identité, je vous propose cette évocation nostalgique des Saintes d’autrefois, témoignage poétique et culturel de ce qu’ont connu il n’y a pas si longtemps nos compatriotes des générations précédentes. Sans sombrer dans un passéisme stérile ou des considérations d’arrière-garde, ce très beau texte de Félix FOY* se veut avant tout une page de notre histoire. Mais c’est aussi un cri d’alarme et une réflexion sur les ravages du modernisme à tout va, sur le changement radical des mentalités et des comportements induits par la transformation galopante du cadre de vie sur un minuscule territoire insulaire, sensible à toute modification de son écosystème. Souhaitons qu’il contribue à mettre un peu de baume au cœur des anciens et à faire prendre conscience aux plus jeunes qu’il y a encore quelque chose à sauver chez nous. 

Raymond Joyeux

 Nostalgie

Félix FOY (1934 – 2015)Ph. R. Joyeux

Il était une fois une île baignée par l’Océan Atlantique, bercée par la Mer des Antilles, caressée par l’alizé, où il faisait bon vivre sous le soleil tamisé par le feuillage des poiriers. Cette île, c’était moi, Terre-de-Haut. Oui, je parle au passé, mes enfants, tellement mon présent est vu à la dérobée et mon avenir dérisoire. Je suis au bout du rouleau, au creux d’une déferlante, je suis submergée, dans le lac,  ou plutôt le bec dans l’eau. Je meurs d’asphyxie, je suffoque : au secours !

Alors que Terre-de-Haut, ce nom qui était le mien pourrait être défini par : Terre Haute, île occupant une position élevée, avec des habitants portant tête haute, voilà que mes filles et mes fils m’ont oubliée. Cela me fait crier aujourd’hui :  » N’y a-t-il pas parmi vous un seul qui veuille me raconter ? Devrais-je le faire moi-même ? « 

Notre île vue du Chameau – année 1950

Il me reste encore un peu de force, un peu de vie, aussi aimerais-je vous demander simplement de me tenir la tête hors de l’eau, de me laisser souffler un peu et je vous conterai mon histoire :

Vous m’aviez reçue en héritage, moi, une île aux belles eaux, limpides et propres, avec des côtes harmonieusement découpées où plages et rochers se succédaient de manière enchanteresse ; des mornes et des vallées chatoyants où vos parents gambadaient, couraient ou tout bonnement se baladaient sur des sentes agréablement ombragées. Ils se souviennent encore comment il faisait bon d’aller du Mouillage au Marigot, ou du Fond de Curé à l’Anse Rodrigue et à Figuier ; comme il était doux de se coucher sur l’herbe dans Fond (le pré Cassin), se laisser bercer par le roucoulement de mes tourterelles.

Être à Marigot après une fine pluie, c’était se retrouver au milieu d’un spectacle merveilleux qu’on aimerait sans fin : la savane toute rouge de crabes de terre était un régal. Les enfants s’adonnaient à cœur joie dans une pêche toujours fructueuse qui était une occasion de plus pour que les mamans se distinguent à la cuisine en préparant un mets succulent : le matété .

Lagon du Marigot – Photo Iris – aujourd’hui comblé

Le tour du lagon offrait à leurs yeux toute la générosité de la nature où éclatait la vie : petits crabes à gros mordants, différentes espèces d’oiseaux. Les poules d’eau, alouettes, bécasses, jambes jaunes, kios… continuaient le spectacle en un concert de battements d’ailes, de cris et de chants.

Il y avait là aussi une véritable frayère. À la saison des pluies le lagon débordait vers la baie, les poissons y venaient pondre, frayer, et repartaient vers la haute mer : les alevins naissaient et se développaient en toute sécurité, car la saison sèche venue, le lagon se refermait. Nouvelle ouverture à l’hivernage suivant, et tout ce petit monde gagnait le large, croisant les gros qui revenaient pour un nouveau frai. Bécunes, grand’écailles, mayols, mulets, poissons chats, dormeurs, crevettes étaient les hôtes les plus nombreux.

Étang de Grand’Anse, dit Bélénus, avant la construction de l’actuel aérodrome

Les abords de l’Étang Bélénus étaient le passage obligé pour aller à Grand’Anse ou à Rodrigue et, là encore, admirer la flore et la faune était un ravissement. Les follettes et nénuphars, plantes aquatiques à larges feuilles circulaires et à fleurs blanches, embaumaient l’atmosphère et se mariaient bien avec les « chances » pour couvrir toute la surface de l’eau. Aigrettes, crabiers, hérons, sarcelles, canards sauvages complétaient le tableau, offrant de gracieuses et amoureuses arabesques de leurs danses nuptiales.

Crabier des Saintes Photo R.Joyeux

La saison des fruits attirait dans mes mornes et mes vallons une ribambelle de gamins qui se gavaient de pommes cannelle, corossols, mangues, muricifs, olives, cerises, merises, cajous ou anacardes, pommes surettes ou jujubes, surelles et icaques qui leur procuraient une réserve de vitamines pour la morte saison.

Malgré la sécheresse qui souvent sévissait, quelques courageux de mes fils cultivaient la terre. C’est ainsi que de l’Anse Mire au Marigot, et de part et d’autre du sentier conduisant à Pompierre, s’étalaient des champs de maïs, pois de bois ou pois d’Angole, combos et coton. Sous ce couvert végétal poussaient aussi giraumons, patates douces et pois aux yeux noirs. Dans le bourg, toutes les portions non construites produisaient quelque plantation. Du Fond de Curé en passant par la Savane et jusqu’au Pain de Sucre on pouvait admirer ce même spectacle de culture vivrière et d’arbres fruitiers.

Pleine saison d’hivernage à Terre-de-Haut
Photo Alain Joyeux

Tout autour de moi, le long de mes côtes, le poisson abondait. Les oiseaux marins, frégates, pélicans, gibiers blancs, nègres à Éloi et pailles en queue avertissaient de l’arrivée des bonites, thons, gros poissons, comme disaient les plus anciens. Pisquettes et cailleux affluaient sur les plages et faisaient le bonheur des pêcheurs à l’épervier. Les coquillages en grand nombre, paisiblement agrémentaient mes fonds et mes rochers.

Frégate superbe. Photo Ala in.Joyeux

Bercés par le murmure des flots et de la brise, vous viviez en mon sein, malgré le labeur quotidien, des journées paradisiaques clôturées par de radieux couchers de soleil. Dans le silence et le calme de mes soirées, vous rêviez en regardant, par nuits noires, le ciel étonnamment étoilé ; par clair de lune, la baie reflétait, et comme un gigantesque miroir vous envoyait mes formes et mes contours, un relief insoupçonné le jour. Des hululements de chouettes ou autres rapaces nocturnes vous tiraient de votre rêverie, annonçant l’heure du repos.

Peu exploitée aujourd’hui, une piste bétonnée a remplacé l’Étang Bélénus

Tout cela a bien changé. À qui la faute ?  Je n’incriminerai personne. On ne peut arrêter, paraît-il, un certain progrès. Progrès dévastateur, bien des fois, si l’on n’est pas vigilant. Peut-être qu’une génération a vécu faute d’informations, sans souci de protéger la nature.

Les choses ne reviendront plus comme avant, mais tout n’est pas perdu. Il reste encore des choses à sauver. Je vous prie, mes fils, mes filles, regardez, réfléchissez sur l’écologie et sur ma démographie galopante. Sauvez-moi, faites en sorte que vous puissiez à nouveau vous baigner sur mes plages, sans risque de contamination, dans une eau régénérée, et vivre sur votre île sans pollution aucune, dans la merveilleuse fratrie  d’antan.

Baie de Terre-de-Haut – mois de Septembre 18h Photo Raymond Joyeux

Sauvez votre patrimoine. Sortez-moi de cette déferlante. Vous êtes bons nageurs et pour vous être baignés à Grand’Anse, vous connaissez la technique pour sortir d’une vague dangereuse. Deux méthodes : plonger dessous pour la laisser passer et nager très vite pour retrouver la terre ferme, ou se porter au sommet et se laisser déposer sur le sable, partir pour une nouvelle brasse ou plutôt repartir du bon pied, ce que j’attends de vous.

Toi, mon fils, qui me permets aujourd’hui de m’exprimer ainsi, comment t’appelles-tu déjà ?

Félix FOY*

* L’auteur de ce merveilleux texte, Félix Foy, est né à Terre-de-Haut en 1934 et décédé à Basse-Terre le 20 août 2015, à l’âge de 81 ans. Ancien technicien de France Télécom,  il avait commencé sa carrière à Paris pour la terminer à Basse-Terre en Guadeloupe où il avait été muté en 1977. Grand amoureux de son île natale, Félix – Féfé pour les amis – était considéré comme un sage, réfléchi et pondéré. Parfait connaisseur de l’histoire et de la géographie de son île natale, il était père de trois enfants, grand-père et arrière-grand-père. Il a collaboré au journal L’IGUANE de 1990 à 1994. Ses chroniques sur la vie saintoise pendant la seconde guerre mondiale sont restées célèbres. 

Publié par Raymond Joyeux
Le vendredi 19 décembre 2025

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LE JOUJOU DU PAUVRE

JOYEUX NOËL À VOUS TOUTES ET TOUS, AMIS LECTEURS, SUR UN TEXTE DE CHARLES BAUDELAIRE EXTRAIT DE SON MERVEILLEUX LIVRE : PETITS POÈMES EN PROSE.

Je veux donner l’idée d’un divertissement innocent. Il y a si peu d’amusements qui ne soient pas coupables !

Quand vous sortirez le matin avec l’intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, — telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l’enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, — et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s’agrandir démesurément. D’abord ils n’oseront pas prendre ; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s’enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l’homme.

****

Sur une route, derrière la grille d’un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d’un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie.

Le luxe, l’insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu’on les croirait faits d’une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté.

À côté de lui, gisait sur l’herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d’une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l’enfant ne s’occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu’il regardait :

De l’autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme l’œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.

À travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l’enfant pauvre montrait à l’enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c’était un rat vivant ! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même.

Et les deux enfants se riaient l’un à l’autre fraternellement, avec des dents d’une égale blancheur.

Texte de Charles Baudelaire
Publié par Raymond Joyeux
Le dimanche 14 décembre 2025


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NOU KAY AN PATI*

  • Nous partons en pique-nique

De la nuit des temps remonte cette tradition typiquement saintoise de se retrouver en famille ou entre amis, aux nombreuses fêtes annuelles, religieuses ou profanes, qui jalonnent le calendrier, pour se rendre la journée entière, sur les plages isolées de notre territoire, paniers et canots remplis de victuailles et de boissons, laissant le bourg quasiment désert, dans un silence de cathédrale, livré à la libre déambulation de la volaille, des iguanes et des chiens errants.  

Terre-de-Haut ville morte, un jour de pique-nique, comme au temps du Covid.

C’était le temps où ceux qui arrivaient les premiers s’installaient à Pompierre, Marigot, Crawen, Anse Figuier, Pain de Sucre, îlet à Cabris… Il y avait de la place pour tout le monde jusqu’à la nuit tombée où ceux restés à terre voyaient revenir, le plus souvent à la rame, des canots chargés à ras bord, accompagnés de rires, de chants joyeux des fêtards en goguette. Une époque de saine convivialité où les baffles monumentales n’étaient pas à la mode, où seule la voix, y compris celle des enfants, reflétait une joie de vivre, simple et naturelle, sans dérangement pour qui que ce soit.

Départ en pique-nique – Années 1970

Lundi de Pâques et de Pentecôte, 15 août, Noël, Nouvel An, lendemain ou jour même de noces, fiançailles, baptême, première communion, anniversaires, toutes les occasions étaient bonnes pour le matété de crabes, le lambi grillé, le blaff bien épicé, la sauce de burgots, le colombo de cabri, sans oublier le traditionnel boudin créole et les accras faits maison, dégustés sur le sable après le bain, à l’ombre d’un catalpa ou d’un raisinier bord de mer. Autant de spécialités locales accompagnées de l’inévitable punch au citron vert, excepté bien entendu pour les enfants qui se contentaient d’une eau grenadine ou d’une gazeuse Alliance, fabriquée à une certaine époque au Marigot par un dénommé Garrido.

Méga pique-nique traditionnel sur une plage aux Saintes. Photo Raymond Joyeux

Si cette tradition d’aller en partie existe encore, peu nombreux sont nos compatriotes d’aujourd’hui qui s’accommodent d’une plage isolée pour s’adonner aux joies du pique-nique en famille à l’occasion d’un des événements évoqués plus haut. À l’heure de l’électricité, du modernisme et de la facilité tous azimuts, c’est le littoral du bourg, principalement celui du Fond-Curé, qui est régulièrement pris d’assaut avec la bénédiction de l’administration communale qui, moyennant finance, met à disposition des demandeurs tentes et chapiteaux, dressés à même la plage tout un week-end, et qui le restent parfois la semaine entière jusqu’au week-end suivant.

Chapiteau attendant la fin de la semaine pour un nouveau pique-niquePh R. Joyeux

Certes, le littoral appartient à tout le monde et rien n’empêche qui que ce soit d’y organiser avec ou sans l’aval de la mairie un pique-nique familial ou entre copains avec tout ce que cela comporte d’inconvénients pour les riverains, alors même que les animations n’excèdent pas un certain niveau de nuisance.

Il faut savoir en effet, qu’entre le Plan d’eau de la Petite Anse et le ponton de l’Anse à Gilot, l’étroite bande littorale est jalonnée de maisons d’habitation, dont les résidents aspirent, comme la plupart d’entre nous, à la tranquillité, au silence et au repos.

Qu’on implante juste devant chez eux un chapiteau démesuré, leur barrant l’espace à la mer, qu’on accroche des décorations de circonstance, qu’on installe tables et chaises pour les convives, en fonction de l’événement, passe encore ! Mais de là à mettre à fond toute une journée et jusqu’à tard dans la soirée des baffles surdimensionnées en décibels qui se répercutent dans tout le bourg, du fort Napoléon au Chameau, nécessitant à juste titre l’intervention de la maréchaussée, il y a une marge. Que les organisateurs et les invités de ces parties de plus en plus fréquentes apprécient ce type bruyant de musique – si, en l’espèce, on peut l’appeler ainsi – quitte à ne pouvoir ni se parler ni s’entendre, cela les regarde. Mais faire supporter cet environnement sonore hyper dérangeant en continu aux riverains immédiats et au-delà, c’est dépasser la mesure.

Chapiteau à 5 mètres d’une maison d’habitation sans égard pour les résidents.- Ph R. Joyeux

Aussi, puisque pour faire la fête plus personne ne veut s’exiler sur les plages isolées comme autrefois, et que les affaires maritimes interdisent aujourd’hui le transport en canot à cet effet, ce que l’on pourrait proposer à la municipalité de Terre-de-Haut, ce serait de délimiter officiellement une portion du littoral du Fond-Curé hors habitations, toujours la même, qui serait dédiée aux pique-niques en tous genres sous chapiteau et tout le monde serait satisfait. On l’espère en tout cas !

Car mandater des agents communaux pour aller harceler tel restaurateur sous prétexte qu’il aurait dépassé de cinq centimètres le périmètre de son AOT (autorisation d’occupation temporaire) – ce qui ne dérange personne – et n’exiger aucune limite aux fêtards, même occasionnels, c’est déroger au principe d’égalité de traitement et du vivre ensemble en respectueuse harmonie que beaucoup, semble-t-il, à Terre-de-Haut appellent ardemment de leurs vœux.

Photo Raymond Joyeux

 Publié par Raymond Joyeux
Le mercredi 3 décembre 2025

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Besoin de poésie ou les rendez-vous du Déversoir


« J’ai longtemps rêvé l’existence, au cœur de nos villes et de nos vies, d’un endroit protégé de la clameur du monde, du bruit et de la fureur, où l’on
pourrait faire halte un instant.
Un endroit au coin de la rue où nous attendrait, derrière son bureau, un poète.

On passerait sa porte pour s’asseoir un moment face à lui,
le temps qu’il nous écrive un poème.

Nul n’aurait besoin de parler, notre seule présence suffirait.
On irait là-bas comme on va chez le fleuriste, le coiffeur ou le cordonnier,
entre midi et deux ou après le travail.
Dans les grandes et les petites occasions.


J’ai longtemps rêvé cet endroit car j’ai la conviction que nous manquons de poésie dans notre vie de tous les jours.
Cette poésie qui se joue de la vitesse et de la gravité qui ne craint ni l’échec ni l’errance -parce qu’elle les fait siens -,
qui nous rappelle que derrière l’habitude tout est encore possible. »

*******

J’ai découvert ce livre d’Arthur Teboul, éditions Seghers poche, octobre 2025, à la petite Librairie-café de Monceau-les-Mines en Saône et Loire, De deux Choses Lune. C’était à la veille de mon retour en Guadeloupe après sept mois d’absence, le vendredi 31 octobre 2025.

Le texte ci-dessus figure en ouverture à l’ouvrage et est le prélude à la mise en œuvre par l’auteur de ce rêve, puisqu’il précise plus loin : « J’ai cessé de rêver cet endroit pour le faire naître. »

Puis donnant l’adresse de ce lieu à Paris, il poursuit :

« Le 12 mars 2023, le Déversoir, cabinet de poèmes minute a pris forme dans la pierre et a ouvert ses portes. Pendant une semaine, du matin au soir, j’y ai exercé le nouveau métier de déverseur, accueillant tour à tour, près de 250 visiteurs, dans un tête-à-tête à l’abri du regard, pour leur écrire un poème. Leur poème. Notre poème. Fruit de notre commune présence, pas sur commande. Un poème instantané, improvisé, photographie d’un instant partagé dans le silence. Un poème minute. »

Ce sont ces 250 poèmes minute qui composent ce livre original et que je ne saurais trop recommander à nos amis amateurs de poésie ou non. Un instant fugace à partager en compagnie d’Arthur Teboul né en 1987, auteur-compositeur-interprète-poète, et chanteur du groupe Feu ! Chatterton. Des textes revigorants que résume parfaitement la citation de René Char placée en exergue de l’ouvrage :

« Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. »

Tableau d’Alain Joyeux. Artiste peintre – Terre-de-Haut aux Saintes

Publié par Raymond Joyeux
Le samedi 22 novembre 2025




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Le petit théâtre saintois

La tenancière et l’argousin

Décor

(Le petit auvent d’une boutique, une table, trois chaises éparses)

Le chœur, voix basse, mains en porte-voix

Voilà, madame, l’argousin
qui vient
avec ses gardes.
Pour votre magasin
soyez bien
sur vos gardes.

L’argousin, faussement gai, suivi de ses gardes

Madame
servez-moi du houblon
dont la mousse onctueuse
sur ma bouche lippeuse
laisse son ourlet blond

Le chœur, chantant

Sur sa bouche lippeuse
Laisse son ourlet blond

La tenancière, avenante, au fort accent étranger

Monsieur
mettez-vous donc à l’aise
car voici la pressione
et voici table et chaise
pour la dégoustatione

le chœur, alerte

Et voici table et chaise
pour la dégoustation
e

L’argousin, faux derche

Madame
c’est vraiment trop aimable
je ne peux qu’apprécier
votre hospitalité
m’offrir chaise et table
me touche en vérité

Le chœur, joyeux

M’offrir table et chaise
Me touche en vérité

La tenancière, se courbant jusqu’à terre

Monsieur
c’est simplé convénance
et votre rang m’oblige
à dé la prévénance
pour bannir tout litige

Le chœur, approuvant

À dé la prévénance
Pour bannir tout litige

L’argousin, se levant, mousse aux lèvres

Madame
votre sincérité
est gage de confiance

(puis changeant brusquement de registre)

mais trêve de pitié
avez-vous la licence ?

Le chœur, dubitatif

Mais trêve de pitié
A-t-elle la licence ?

La tenancière, déconfite

Hélas, no, monsieur, yé né lé pas
y’avoue mon inconscience
et votre grandé science
vous l’aura dit déyà

Le chœur, hochant la tête, moqueur

Et votre grandé science
Vous l’aura dit déyà

L’argousin, tempêtant, postillonnant la mousse du houblon

Madame
présentez vos papiers
votre table est de trop
je suis agent douanier
tolérance zéro

le chœur, imitant l’argousin

Je suis agent douanier
Tolérance zéro

L’argousin, rageant, aux gardes

Gardes
saisissez chaises
et table
cette dame est coupable
et prend trop à son aise

(puis, par devers lui)

Ah, traquer l’infraction
et donner du bastion
par mon foie et mon râble
quel métier délectable !

le chœur, agitant l’index levé

Par son foie et son râble
Quel métier délectable

La tenancière, pleurnichant

Moi qui pensais si bien
récévoir oun notable
mé voilà comme oun chien
et sans chaise et sans table !

le chœur, compatissant

La voilà comme oun chien
Et sanchez et sans table
et dans de jolis draps

(puis changeant de ton)

mais flatter oun notable
cela loui apprendra !

Envoi

La foule haineuse à la tenancière

Cela vous apprendra
cela vous apprendra
Votre table est de trop
tolérance zéro
Cela vous apprendra
cela vous apprendra

Un passant sentencieux

Ne savait-elle donc pas
cette étrangère-là
que dans ce pays-ci
foi d’abruti
faire mamours au douanier
c’est donner sa tête à tranchier.

Le chœur en écho

Faire mamours au douanier
nier… nier …
C’est donner sa tête à tranchier,
chier… chier

Pendant que l’argousin, revolver à la ceinture,
verbalise d’autorité la tenancière qui l’implore, le
chœur et la foule chuchotent entre eux,


le passant par dépit
fait un doigt d’honneur en direction

du rideau qui se baisse.

À l’intention de qui ? Toute la question est là.

Ce texte est extrait du recueil Au hasard de la nuit publié aux Ateliers de la Lucarne en Avril 2010.
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé serait purement fortuite
.

Texte de Raymond Joyeux
Publié le mardi 11 novembre 2025


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Poèmes pour un retour

Nuages de lumière
Pluies de soleil bleu
Réverbération sur les mornes édentés
Couleur de maïs.

Joie de te revoir ô ma terre !
De dénouer les lacets de ces chaussures
Où blanchit encore le dos de mes orteils ramollis.

Hâte de poser à nouveau le pied
Sur le ciment d’enfer de ton débarcadère
De dégrafer la chemise qui me boucle le cou
Et cadenasse mes poignets
Serre étanche où fermentent encore
Les taches de rousseur de mes bras 
Et de mon ventre pâli.

Hâte que ton sel me taraude à nouveau le visage
Que ton soleil inouï me pigmente comme autrefois
Le corps

À la manière des œufs de minimes
Dans l’anfractuosité de leurs nids  de rocaille
Sur la ceinture volcanique
De tes sept sentinelles de basalte.



L’enfant Prodigue

Je reviens

Peu m’importe le temps passé
les ans, les heures perdues
Je reviens à la source
du nouvel avenir

Peu m’importe
les jours en allés
les nuits sans mémoire

Je reviens

La mer me reconnaît
comme son enfant prodigue

je suis blanchi de mes errements
couronné d’écume foisonnante

Oubliés mes oublis
effacés à jamais
les regrets et les serrements de cœur
Nostalgie tu n’es plus

Je reviens

Le sable m’invite
le ciel m’honore

Le sel m’oint de son ambre
je ne sais plus où donner du regard

Le vent me cerne de courbettes
et le soleil s’offusque que je tarde à le saluer.

Je reviens au pays des fantasmes futurs
j’ai semé à la vague
des souvenirs qui ne germeront pas.

hivers lointains
fondus en stérile compost
images surannées d’un séjour
bien plus qu’imaginaires

Je reviens

les feuilles m’ouvrent
leurs fenêtres
la lumière me fait une ovation

C’est la congratulation générale
de toutes ces choses
que je n’ai jamais quittées

Je reviens

Seuls les miens ne me reconnaissent pas
je lis sur leur visage
l’insuffisance de l’exil

Dans leurs yeux oublieux
je lis l’écaille de l’absence

Peu m’importe leur présence
leur arrogance ou leur indifférence
l’horizon de leur regard ne me concerne pas.

Mais dès lors
qu’exultent à ma rencontre
toutes les forêts surexcitées
avec leurs touffes d’herbes folles

toutes les plages fébriles
et leurs falaises fastueuses

j’ai dans la tête suffisamment de feu
pour faire exploser
tous les volcans du monde.

Publié le jeudi 30 octobre 2025

Textes et illustrations de Raymond Joyeux

Le premier poème est extrait du recueil Poèmes de l’archipel, publié en 1986
aux Imprimeries réunies.
Le second poème est extrait du recueil Domaine privé maritime publié en 2004
aux Ateliers de la Lucarne

Publié dans Poésie | 3 commentaires

Une semaine météo très réjouissante…

La météo semble figée depuis près d’une semaine sur le département (de la Saône et Loire), avec des brouillards matinaux qui laissent place progressivement à un très beau soleil arrivant par le Nord du département. Les hautes pressions responsables de ce temps vont céder en fin de semaine, annonçant le retour de la pluie probablement dimanche en toute fin de journée, et une semaine prochaine plus dynamique.

👉Le temps de ces prochains jours en détail

📍Ce lundi 13 octobre 2025📍

Brouillards denses sur la totalité du département jusqu’à 14h, puis le soleil arrive par le Nord du département et progresse lentement jusqu’au Sud.
Températures matinales : 4° à 9°Températures l’après-midi : 13° à 18°Vent : Très faible de Nord-Est. Précipitations/24h : 0 mm. Risque d’orages : nul

Entre deux piquets – Versaugues – Photo Raymond Joyeux

📍Mardi 14 octobre 2025📍

Même type de temps.Températures matinales : 4° à 9°Températures l’après-midi : 13° à 18°Vent : Très faible de Nord-Est. Précipitations/24h : 0 mm. Risque d’orages : nul

📍Mercredi 15 octobre 2025📍

Le ciel se dégage beaucoup plus vite au Nord d’une ligne Paray/Charolles/Mervans. Au Sud de cette ligne, il faudra probablement attendre le milieu d’après-midi pour voir le soleil.Températures matinales : 4° à 10°Températures l’après-midi : 13° à 17°Vent : Très faible de Nord-Est.Précipitations/24h : 0 mm. Risque d’orages : nul

📍Jeudi 16 octobre 2025📍

Même scénario que mercredi.Températures matinales : 3° à 8°. Températures l’après-midi : 12° à 18°Vent : Très faible de Nord-Est. Précipitations/24h : 0 mmRisque d’orages : nul

Champ ensemencé -Versaugues – Photo Raymond Joyeux

📍Vendredi 17 octobre 2025📍

Même scénario que les deux jours précédents.Températures matinales : 3° à 8°Températures l’après-midi : 12° à 17°Vent : Très faible de Nord-Est. Précipitations/24h : 0 mm. Risque d’orages : nul

📍Samedi 18 octobre 2025📍

Toujours le même type de temps.Températures matinales : 1° à 7°Températures l’après-midi : 12° à 17°Vent : Très faible de Nord-EstPrécipitations/24h : 0 mmRisque d’orages : nul

📍Dimanche 19 octobre 2025📍

Arrivée d’une perturbation assez active par l’Ouest du pays, changement de temps avec redoux, vent passant au Sud et devenant modéré à assez fort dans l’après-midi et retour de la pluie en soirée.Températures matinales : 3° à 8°. Températures l’après-midi : 14° à 19°Vent : Très faible de Nord-Est le matin, tournant au Sud modéré/assez fort l’après-midi. Précipitations/24h : 0 à 35 mm ( à affiner prochainement). Risque d’orages : très faible

📍La semaine prochaine📍

Début de semaine perturbée, temps ponctuellement pluvieux, retour des hautes pressions en fin de semaine.

Très bonne semaine à tous !

Pendant ce temps aux Saintes

28 degrés à l’ombre

Un petit coin de plage à Terre-de-Haut – Photo Raymond Joyeux

Texte : Bulletin météo de Saône et Loire, semaine du 12 au 19 octobre 2025
Carte de France : Météo-Climat de France 2 du mardi 13 octobre
Photos : Raymond Joyeux

Publié par Raymond Joyeux
le mardi 14 octobre 2025

Publié dans Environnement | Un commentaire

La chronique du jardinier, séquence 6

Derniers jour de septembre

Jeudi 25

Atmosphère d’hiver toute la journée avec grisaille intégrale et basse température. J’en profite pour arracher tuteurs et pieds de tomates mis en terre le premier mai, voilà bientôt cinq mois. Avec pincement au cœur et remerciement intérieur pour leur floraison et leur généreuse productivité.

Trois récipients bien garnis : une cagette pour les vertes, une autre pour les mûres, un seau pour les irrécupérables. Superbe récole gâchée en partie par les aléas climatiques successifs : canicule intense, pluie persistante, humidité et grande fraîcheur nocturne. C’est notre ami François, amateur de confitures en tous genres, qui bénéficiera des vertes. Les irrécupérables alimenteront le compost et ce qui restera des mûres finira en coulis. Les pieds séchés seront brûlés et enrichiront le potager en cendres. Rien n’est donc jamais tout à fait perdu, la boucle est bouclée.

Après-midi, le maire M. Louis Accary me transmet ad domo la feuille d’inscription pour le repas des aînés fixé au dimanche 12 octobre. Eh oui, à partir de 70 ans vous êtes hissés au rang des aîné.e.s de la commune. Une belle tradition qui perdure depuis plus de trente ans, occasion de rencontres, de cohésion sociale et de convivialité ! Je termine la chronique de notre sortie de mercredi au Cadran de Saint-Christophe et la publie sur ce blog pour la satisfaction des participants et autres amateurs de curiosités originales…


Vendredi 26

Petite pluie au départ pour notre rendez-vous au restaurant du pont levant à Montceau-les-Mines avec nos amis de Sivignon et d’Évelle en Côte d’Or. Sympathique rencontre suivie d’une visite à Emmaüs. Retour en ville et pause dans un bar face à la capitainerie où nous croisons Madame la maire. Avant éventuelle publication, je confie le manuscrit de La malédiction de la Saline pour relecture et commentaires à Chantal d’Évelle, l’illustratrice du conte La petite fée de l’arc-en-ciel, publié ici même en son intégralité. Merveilleuses retrouvailles sans pluie avec nos amis, et peut-être un dernier repas à venir avant notre départ en novembre, nous l’espérons vivement. 

Pont levant sur le Canal du Centre. Ph. R. Joyeux

Samedi 27

Brouillard au lever. Il faudra attendre midi et demi pour qu’il se dissipe et laisse la place à la lumière. La température est plus douce aujourd’hui, mais le poêle est toujours allumé à l’intérieur. Heureux cependant de retrouver un peu de chaleur après une semaine de froidure. J’en profite pour désherber la plate-bande des tomates… sous le soleil, coiffé de mon chapeau. 

Dimanche 28

Pas plus de six degrés ce matin au réveil avec ciel bleu, sans vent. Le poêle est éteint mais le thermomètre intérieur indique 20°. Premier réflexe : ranimer le feu. Je profite de cette accalmie météo pour bêcher le carré aux tomates. Le sol est meuble et le travail se fait sans gros efforts. Envisager de semer du trèfle ou poser un film de protection. C’est à réfléchir. Le trèfle nécessitera de bêcher la terre à nouveau au printemps pour l’enfouir avant plantation. Le film empêchera la terre de respirer. Dilemme.
Après-midi désherbage des rangs de poireaux.
À 17 heures, nous partons pour une marche en passant par l’ancienne maison de nos voisins et amis du Bessay. Passage acrobatique entre les ornières boueuses du chemin des haies récemment taillées, saccagées par le boyeur. Popeye a jappé comme d’habitude au portail du voisin Pierre. De gros oiseaux noirs sillonnent le ciel en patrouilleurs.
Je pense à ce haïku du poète japonais Bashô :

«Sur une branche morte
Un corbeau s’est posé
Soir d’automne. »



Lundi 29

La température a baissé de deux degrés dans la maison, passant de 22 à 19. Le brouillard est plus dense aujourd’hui. Tout est mouillé à l’extérieur comme s’il avait plu. Même ma brouette-pluviomètre, que j’avais vidée presque pleine la veille, témoigne de l’intensité de la rosée, cette manne pour les orties et autres plantes dites sauvages, plus épanouies, plus touffues et vigoureuses que jamais.

Il a fallu attendre 14 h pour voir enfin un rayon du parcimonieux dieu Râ. Et dire que depuis 8 heures du matin, sans se montrer, il se pavane en nous narguant au-dessus de sa coupole brumeuse, avare de ses bienfaits. Mais ne soyons pas injuste, pendant plus d’un mois, il nous a octroyé sans discontinuer ses prodigalités. Avec un thermostat parfois au plus haut. Le jardinier jamais satisfait oublie qu’il n’est pas maître des horloges météorologiques! Maître des horloges, formule vaseuse de certains de nos dirigeants qu’ils proclament pour signifier que ce sont eux qui décident des opportunités. Des dieux omnipotents, quoi ! au mépris de leurs sujets. Avant de répondre à l’invitation à dîner de nos voisins, nous recevons l’élagueur pour un devis d’intervention sur les espaces verts.

Mardi 30

Toujours ce sacré brouillard au lever en ce denier jour de septembre. L’humidité s’est installée qui glace les os et la tête. Aucune envie de chausser les bottes et de se rendre au potager avant l’apparition d’un petit rayon réconfortant. À moins d’être un écrivain face à sa page blanche, au chaud devant le poêle, en attente d’inspiration, la matinée jusqu’à 14h est fichue.

Fin d’après-midi, profitant d’un soleil à demi voilé qui hésite à se montrer, je m’apprête à sortir enfin de la maison pour une marche en solitaire de 45 minutes autour du quartier. Les champs qui ont retrouvé leur verdure habituelle s’étendent à perte de vue, compartimentés par leurs piquets d’acacia, leurs clôtures de barbelés ou leurs haies de charmille. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Même pas troublé par un meuglement, j’observe une vache limousine, toutes mamelles dehors, et un taureau de la même race qui m’observe en ruminant, semblant perdu dans ses pensées.

Je ne serais pas étonné que ce soit ce type d’atmosphère qui aura inspiré à Baudelaire son Invitation au voyage. Tout concorde : la douceur, les soleils mouillés, les ciels brouillés, les rares fleurs qui mêlent leurs odeurs aux vagues senteurs de l’ambre, les soleils couchants qui revêtent les champs, le monde qui s’endort dans une chaude lumière. Fin septembre en Bourgogne, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté...

La campagne en automne

C’est l’automne, la campagne de jour en jour se flétrit
l’émeraude limpide de la rivière froide chatoie
j’ai amarré ma jonque près d’un bourg barbare,
et choisi une maison dans un village de Ch’u
les jujubes sont mûrs, je laisse les gens les gauler
les tournesols sont secs, je vais moi-même les déterrer
la nourriture dans mon assiette de vieillard,
je la partage avec les poissons de la rivière.


Tu Fu
poète taoïste (712-770
)

****
Texte et illustrations de l’auteur.

Publié par Raymond Joyeux
le mercredi 1er octobre 2025

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Une journée enrichissante : la découverte du marché au cadran de Saint-Christophe en Brionnais

Mercredi 24 septembre 2025

C’est l’hiver en automne : huit degrés au réveil à 7 heures du matin, ce mercredi 24 septembre. Avec quelques-uns des marcheurs et marcheuses de Versaugues, encapuchonnés dans leur anorak, nous nous préparons pour une visite du marché aux bovins de race charolaise de Saint-Christophe, en plein cœur du Brionnais, dit marché au Cadran. La plus importante des 41 structures de ce type existant en France. Cette visite guidée n’est possible que le mercredi matin, jour où vendeurs et acheteurs de bétail se retrouvent pour les tractations commerciales de la semaine.

Il fait un froid de canard devant le tableau de l’historique de l’établissement, en plein courant d’air, où notre guide nous a rassemblés. Les Anglais, habitués à la grisaille de Londres, disent, avec leur flegme légendaire : «Chez nous, le soleil c’est comme le bon Dieu, on ne le voit pas mais on y croit. » Je trouve cette formule géniale qui s’applique ici aussi aujourd’hui, depuis qu’un épais couvercle de plomb s’est posé sur le ciel de notre région, voilà maintenant près d’une semaine.

De 1488 à 2009

Après les rappels historiques évoquant les circonstances de la création du marché sous Charles VIII, en 1488, et ses évolutions successives jusqu’en juin 2009, date de l’inauguration du nouveau complexe, nous sommes invités à entrer dans le vif du sujet.

Terminés les tractations et marchandages d’autrefois où ventes et achats se négociaient exclusivement de gré à gré, de part et d’autre du célèbre mur d’argent, même si cette dernière possibilité, réduite à la portion congrue, existe encore aujourd’hui. Avec la modernisation, c’est un tout autre monde qui est offert aux éleveurs et marchands de bestiaux.

Au Cadran, à l’ouverture des ventes, les acheteurs sont assis dans un amphithéâtre, tels de studieux étudiants, vêtus de leurs blouses noires de maquignons, carnet, stylo, portable et calculatrice à la main. Il n’y a que des hommes. Devant eux, le bouvier fait entrer les bovins, un à un, dans un cercle qui a la forme d’un ring, circonscrit par une barrière métallique.

S’inscrivent alors sur un grand cadran placé en hauteur toutes les caractéristiques de l’animal, sa race, son origine, son poids, et les enchères commencent dont les montants successifs s’affichent sur le cadran en même temps que le directeur des ventes les annonce par haut-parleur. Pour le folklore, nous précise notre guide !

Lorsque plus personne ne renchérit, le cadran s’immobilise, et indique que la vache ou le taureau a été adjugé et vendu à tel prix. Les acheteurs récupèrent leurs bêtes et vont régler au guichet les modalités financières des transactions. Quarante-huit heures plus tard le vendeur perçoit son gain. Tout est régi automatiquement comme du papier à musique.

Nombreux panneaux explicatifs

Mais notre visite n’est pas terminée pour autant. S’il est interdit de photographier animaux et intervenants, de nombreux panneaux explicatifs nous informent sur les problématiques liées à la production de la viande bovine, de l’animal au steak, par exemple, et à la gestion des opérations nécessaires au bon fonctionnement de la structure, comme la récupération des eaux pluviales et le traitement de celles de lavage.

Une vidéo récapitulative

À midi, cette intéressante visite terminée, résumée ci-dessous dans la vidéo de F3 Bourgogne, nous sommes invités à une petite dégustation, en avant-goût du repas programmé, pour la plupart à l’inévitable tête de veau, au restaurant de proximité, comme une invite à prolonger le plaisir de la découverte de cet exceptionnel marché au Cadran de Saint Christophe en Brionnais.

Petite randonnée digestive

Mais n’oublions pas, comme précisé plus haut, que cette très instructive visite a été organisée par le groupe de marche de Versaugues que nous saluons joyeusement au passage pour cette belle initiative.

Aussi, après le repas, comme il se doit, sous la conduite avisée de notre ami Jacques, une balade d’une petite heure est proposée au groupe qui s’engage volontiers sur les sentiers d’un circuit d’une randonnée bien connue des participants n’hésitant pas à se salir les baskets pour la circonstance.

Et c’est ainsi que se termine cette magnifique journée, sans soleil à l’extérieur, certes, mais lumineuse au cœur de chacun, prémices d’autres sorties gratifiantes, occasion de rencontres amicales et de convivialité….
En attendant la saison d’hiver qui sera sans doute très rude, car comme le dit un proverbe indien du Canada :

« Quand homme blanc fait beaucoup de bois, l’hiver sera rude ! »

Photo Raymond Joyeux

Publié par Raymond joyeux
le jeudi 25 septembre 2025

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Retour en Bretagne

Derniers jours

Vendredi 22 août

Et le soleil continue ce vendredi de nous être complice pour un périple touristique à la découverte de la Côte de granit rose et du Gouffre de Plougrescant. Une réplique monumentale de la modeste Roche Percée saintoise de Pompierre, fait observer Alex. Gouffre qui me ramène à mon très lointain passé lycéen et à mon camarade de seconde Louis D. dit Loulou, surnommé Le gouffre de Padirac à cause de sa corpulence et de son imposant postérieur… on se demande bien pourquoi. Lamentable facétie d’ado.

Ph. R. Joyeux

La célèbre maison entre deux rochers est intrigante. Classique pub pour la Bretagne, vue sur tous les magazines. Privilège de la découvrir in situ. Étonnant rêve d’un bâtisseur original avant la loi littoral et les interdits du conservatoire…

Photo R. Joyeux

Perros-Guirec

Ph. R.Joyeux

Escale bien venue et déjeuner à Perros-Guirec, occasion pour nous de nous souvenir de nos amis Annie et Marcel R. qui y possédaient une maison face aux îles.
Parking ombragé le long d’un bassin nautique urbain où s’exercent les futurs amiraux de la Royale sur de minuscules embarcations à moteur, grossière imitation des paquebots d’antan et autres barcasses insolites.

Le personnel du Bistrot de la Rade où nous avons table dressée sur réservation opportune d’Alex nous attend. En ce domaine, rien n’a été laissé au hasard. C’est une chance que nous apprécions. Car en cette fin août les visiteurs sont encore nombreux et les restos submergés d’affamés patientant à la queue leu-leu sous le soleil. Je tente la pêche du jour : aile de raie sur coussin de légumes, particulièrement goûteuse qui change des innommables préparations ammoniaquées à l’huile rance servies parfois aux Saintes. Et nous voilà repartis pour l’escalade programmée des rochers roses de Perros.

Photo Google : Tourisme en Bretagne. Wikipédia

Petite déception : aucune place disponible aux nombreux parkings côtiers de Ploumanac’h – village préféré des Français en 2015 – en dépit d’une recherche assidue de notre opiniâtre conductrice. 
Ce changement de programme nous conduit à Trégastel et à la minuscule île Grande, qu’un pont relie au continent depuis 1891.

Photo R. Joyeux

Faute d’escalader les rochers roses, paisible marche le long de la plage de Saint-Sauveur encore découverte par la marée. Inutile de chercher à se rincer ne serait-ce que le bout du plus petit orteil mais la langue de sable, parsemée de varech séché, est plus agréable que la rugosité des cailloux du sentier !

De Trégastel, nous prenons la direction de Lannion par Trébeurden, ce village où j’ai eu le privilège il y a quelque vingt ans de rencontrer chez lui l’écrivain écossais, inventeur de la géopoétique, Kenneth White, aujourd’hui décédé, et son épouse Marie-Claude. La simplicité du personnage, sa modestie naturelle et l’image des feuillets manuscrits éparpillés à même le béton du sous-sol, en petits paquets retenus par des galets, et les dédicaces qu’il me fait l’honneur de signer me sont restées en mémoire.

Site K. White -Wikipedia

Lannion

À Lannion, nous nous garons en haut de la rue principale et parcourons le centre-ville jusqu’à la librairie Gwalarn au rayon poésie bien garni.

Une édition bilingue de poèmes d’Erri De Luca pour Anne et achat de Rue des fleurs de Jean-Michel Maulpoix et Mathématique générale de l’infini de Serge Pey, poète toulousain. Titre qui me fait penser à mon ami Bernard Bonbon et ses recherches et publications en géométrie parabolique.

«La poésie n’est pas faite pour être comprise, elle sert à comprendre. »

Rasade de bière, cidre et menthe à l’eau, à chacun selon ses goûts, nous faisons le plein de liquide avant retour à notre gîte de Plouézec, pour notre dernière soirée bretonne et repas pour une fois à domicile…

Samedi 23 août

Sur la route de Rennes

Branlebas dès le matin avant la visite des proprios et remise des clés. La confiance règne : aucun CR de l’état des lieux sur lesquels nous revenons après 20 minutes de route récupérer la veste d’Alex oubliée derrière la traitresse porte d’entrée. Heureuse coïncidence, nos véhicules se croisent à l’entrée du bourg. Ce qui favorise le retour à la résidence et la récup du bien d’Alex qui doit regagner Paris en train avec Anne depuis Rennes.

Notre logement à Plouézec – Photo R.Joyeux

Mais nous ne sommes pas au bout de nos petites frayeurs. Un accident sans gravité apparente ralentit la circulation. Puis c’est l’invraisemblable recherche de la gare en centre ville. Les panneaux se contredisent et les travaux affolent le GPS. C’était sans compter sur la légendaire perspicacité d’Anne. En moins de temps qu’il faut pour l’écrire, elle repère l’entrée de la gare et c’est l’inéluctable séparation… En attendant nos retrouvailles à l’anniv d’Alex en septembre.

Photo R. Joyeux

Retour : compter les pieds de l’infini

Quel périple, avons-nous ensemble accompli ! Quelle richesse désormais inscrite en nos mémoires et dans nos cœurs ! Exceptionnelle beauté de la géographie et de l’histoire, merveille de la gastronomie, plaisir des yeux et de la marche, redécouverte d’une boisson traditionnelle injustement oubliée… et la complicité qui nous unit. Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans l’implication fructueuse en amont de nos deux chercheurs-randonneurs enthousiastes à l’affût des curiosités à partager.

Photo R. Joyeux

Curiosités ? Non. Splendeurs de la nature, œuvres de l’homme, traditions, art et culture. En un mot : poésie rayonnante qui, selon Serge Pey, est « l’art de renverser la terre ». Renverser la terre, ce que nous avons fait en six petits jours, 

« en comptant deux fois nos pas courts au bout de nos sandales puis encore deux fois nos pas lents. Et encore les courts deux fois et les longs quatre fois jusqu’à compter les pieds de l’infini. »

À 13h50 nous quittons Rennes, allégés de nos deux comparses et de leurs pesantes valises d’intenses images, le cœur un peu lourd aussi, jusqu’à notre point de départ qui semble désormais si lointain, pour mettre pied à terre après six heures de route et un périple de 2149 kilomètres ensoleillés au compteur de la Captur. 

Texte inédit publié par Raymond Joyeux
Le vendredi 19 septembre 2025

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